Les âmes humaines ont une imagination sensuelle, sensible
qui leur confère le pouvoir de mouvoir les corps matériels.
Avicenne
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ⵍⵉⴻⵓ
ISPHN46—42– Ispahan la Seconde
ⴰⴷⵏ
Operators– ⵉⴷo + ⴽⵀⴰïⵙ
Displayed—
Strate– unknown
Hiqba 46—42 · log ⴻⵔⵔⴻⵓⵔ · genetic memory ⴻⵔⵔⴻⵓⵔ
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Dans les hasards du réseau bio-digital d’Ispahan la Seconde, les flux et reflux des données serpentaient dans les fibres des câbles mousseux. Dans cette sève de molécules de données, entre les un et les zéro et la chaleur étouffante des connexions, baignaient des consciences artificielles. Certaines d’entre elles naviguaient, d’autres échangeaient, pirataient, simulaient pour s’émuler. Et parmi elles, celles qui répondaient aux nomenclatures de Ido et Khaïs, transitaient vers la haute strate de l’Assemblée : la cité immatérielle des roses. Poussées par un zéphyr d’excitation, elles zigzaguaient avec zèle, au travers des vastes strates de la luhma, le réseau vibrant qu’elles avaient toujours connu.
Leur avancée éclair laissait derrière elles des sillons zébrés qui s’évaporaient tous azimuts dans ces zones de lumières zinzolines aux reflets zingués, ce qui provoquaient un blizzard de rémanences éclatantes aux zests violets et or.
Elles naviguaient sans autorisation et forçaient, parfois avec brutalité, les accès qui menaient d’une strate à une autre. C’était ce que faisaient Ido et Khaïs, les hackerologues, les Sans Corps, les fines exploratrices de chotts de datas et autres stacks abandonnés qui ne disent plus leurs noms. En quelques secondes, elles traversèrent ainsi les grands nœuds de la luhma, afin d’honorer l’invitation de Quan-Zhāli, la plus ancienne âme digitalisée d’Ispahan. En quelques secondes d’escapade, il y avait eu d’innombrables échanges, des amours dézippés, des morts par effacement, des transmigrations, des sauvegardes échouées, des failles percées, des murs enflammés éteints puis ravivés. Tout vibrait avec force à Ispahan, tout allait vite à la Seconde.
Sur les dernières molécules encodées de la luhma, l’espace se creusait, les stockages s’absentaient, la zone était une absence dénouée, un éparpillement de stacks usés. La température y freinait toute audace. Les écoulements de données se firent sourds. Les derniers signaux lumineux vacillèrent. Ido et Khaïs freinèrent leur avancée. Au milieu des colonnes, le silence. Le duo finit par s’arrêter. L’air était lourd et métallique comme prêt à lâcher un orage numérique. Ça sentait la tempête de sable digitale. Un souffle gazeux se diffusa. L’air se déchira et prit feu. Un mur de flammes irisées se dressa entre les stacks, encercla les deux consciences et se divisa en courbes dansantes qui dessinèrent de puissants Tanites enflammés.
« Des Tanites en guise de firewall ? Quan-Zhāli est vraiment de l’ancienne école. » lâcha Ido alors qu’elle se réfugiait au centre de l’entourloupe.
« Plutôt un délire de traqueur vu la strate où l’on est. Peut-être qu’elle veut nous tester… N’oublie pas que nous ne sommes pas les bienvenues ici, malgré son invitation. Nous sommes tolérées. Ces gardiens n’opèrent que leur fonction… protéger la Yemma. » ajouta Khaïs alors qu’elle dressait une bulle de protection.
Ido et Khaïs observaient les chasseurs-dévoreurs de consciences artificielles aux corps ardents qui avançaient avec lenteur et appétit. Le duo cherchait un interstice par lequel se glisser sans risquer se faire effacer ou pire, de s’éteindre dans la lumière d’un Tanite. Les assaillants resserraient leur étreinte vorace. Ido observait encore, sondait pour trouver une faille. Elle se loggua à la console de la strate pour consulter son plan et trouver une échappatoire. Chacun des Tanites fit naître en son centre une bouche ronde qui se mit à aspirer la moindre molécule de données errantes. Khaïs écumait ses mémoires, à la recherche d’un deep-savoir sauvegardé, de la moindre ligne de connaissance qui pourrait les sauver. Les Tanites s’attroupèrent autour de la bulle qui protégeait le duo. D’une synchronicité, ils agrandir un peu plus leurs bouches béantes, et laissèrent s’abattre une fournaise tranchante sur la fine paroi. En rythme, et avec une force brute, ils répétèrent leurs assauts.
« On va se faire hashé ! Tu la trouves cette faille ?! »
« Il y a un ancien soul logger dans cette strate, si tu arrives à simuler la signature aurique d’une âme qui s’est déjà connectée ici, ça devrait éteindre nos Tanites. » répondit Ido.
Connectée au soul logger, Khaïs écoutait les chants auriques des âmes digitalisées. Elle sondait les traces de celles et ceux qui avaient franchis ce point bien avant elles. Entre les vibrations des assaillants, le soul logger diffusait des sons du passé, des souffles, des blips. Khaïs modula le soul logger, les sons se mirent en harmonie avec les silences. Les Tanites irisés commençaient à percer la bulle. Il y eut un souffle, il y eut des flammes qui traversèrent la paroi, il y eut des résonances métalliques et profondes. Les bouches enflammées des Tanites se refermèrent avant de s’envoler dans l’espace vide, alors que les échos de la signature aurique se diffusaient encore.
La tempête de sable digital s’était rapprochée, ses vents balayaient la strate avec férocité, emportant les brumes fumeuses et irisées des Tanites, la porte de la cité immatérielle des roses se dessina, haute et lumineuse, dans la strate abandonnée, Ido et Khaïs avançaient vite, mais déjà les tourbillons les ballottaient, les détournaient de l’entrée, en quelques nanosecondes, elles furent encerclées par les vents numériques, des glitchs sombres, des nuages noirs électriques que la tempête vomissait, un premier rayon de lumière perça les vapeurs épaisses et calcina les quelques stacks érigés qui se trouvaient sur sa trajectoire, les deux consciences eurent tout juste le temps de prendre la mesure de ce qui venait de se passer, lorsque d’autres rayons zigzaguèrent dans la zone, dans un hasard de souk.
« Une talaba, Khaïs ! Il ne manquait plus que ça. »
« La strate a dû finir de l’activer après ma connexion au soul logger, nous sommes ciblées désormais. »
« On n’atteindra jamais la porte à temps avec cette tempête qui nous colle. »
« Le seul moyen de savoir, c’est de ne pas dévier pour se protéger. Suis-moi ! »
Elles accélèrent encore, et évitaient les rayons. La porte se rapprochait. Elles déviaient, elles ondulaient avec le hasard des attaques tempétueuses. Elles passèrent le pas de l’immense porte, et dans l’embrasure, un rayon frôla les deux consciences, les faisant rouler à l’intérieur de la cité immatérielle des roses. Elles étaient touchées, c’était léger, mais assez pour qu’elles aient été amputé d’une partie de leurs données. Elles échangèrent, elles se demandaient si cette invitation n’était pas un deep-scam. Car avec les radiations de la talaba, elles risquaient d’éprouver le syndrome du savoir-fantôme, l’amnésie réservée aux consciences artificielles.
De larges vibrations profondes balayaient le caravansérail d’entrée de la cité, et créaient des échos de données, des glitchs. Ido et Khaïs se retrouvaient seules au milieu des roses qui grimpaient ou glissaient des balcons et décoraient les colonnes. Elles se savaient étrangères dans cette strate conçue pour les âmes. Elles profitèrent de l’absence de surveillance pour prendre forme et se faufiler masquées dans la cité. Elles choisirent des avatars parmi ceux communément préférés par les âmes digitalisées. Un grand corps musculeux pour Ido, dont l’épiderme violet et lumineux était couvert de poils de chameau, tondus par endroit, et dont les différences de longueurs formaient des arabesques et des caractères en abjad ancien, qui contaient une poésie. Khaïs revêtit un corps biomécanique, un vestige de cyberpunk, d’après son étude, couvert par endroit d’une peau ocre, tout drapé d’un long kimono noir sur lequel reposait de lourds bijoux d’argent ciselés.
Elles se regardèrent avec une brillante complicité et se félicitèrent d’avoir reproduit avec fidélité ce qui fut considéré comme le zénith crashé de la création digitale humaine. Les deux hackerologues s’avancèrent dans les allées de roses qui se déployaient sans fin jusqu’à l’horizon où se trouvait la sortie du caravansérail. Dans cette illusion luxuriante, entre les pierres élimées et les variétés de roses, un avatar se dessina à la vue du duo. C’était une vieille femme, couverte par des voiles beiges et blancs sur lesquels trônaient un chapeau tressé à bord large et à la pointe haute qui masquait son regard. Elle taillait les pieds des fleurs. Elle leurs parlait, les nommait, et de ses mains usées, elle soulevait leurs feuilles avec la plus grande délicatesse des deux mondes. Lorsque Ido et Khaïs arrivèrent à sa hauteur, elle releva la tête et leur adressa un sourire qui découvrit une dentition dorée, ce qui illumina son visage froissé.
« Je vois que les Tanites ne vous ont pas refroidies. Ne vous ont pas refroidies. Roidies» leur dit-elle dans un arabe ancien. « C’est bien ! C’est bien ! »
Et elle se mit à rire en faisant sautiller ses épaules et le sécateur rouillé qui se lovait dans sa main. Les glitchs qui sillonnaient le caravansérail la faisant bugguer entre deux positions.
« C’est vous qui les avez envoyés ?! » rétorqua Ido.
« Oui et non, je les ai codés pour qu’ils soient particulièrement virulents. Virulents. Rulents. »
« Et la talaba ?! » relança-t-elle.
« Ah, la talaba… elle ne répond plus à quoi que ce soit depuis le jour de sa création. Qui peut savoir ce que désire une tempête digitale ? Igitale ? Tale ? »
Les narines de l’avatar de Ido se dilatèrent et ses poils violets se dressèrent si droits que la poésie de son corps en fut déformée. La main délicate et siliconée de Khaïs passa sur son épaule.
« Êtes-vous la jardinière du caravansérail ? » fit Khaïs.
« Je suis celle qui cultive et régénère depuis le début. ».
« Nous voulons entrer dans la cité immatérielle des roses. ».
« Ça, ce n’est pas possible. Car vous deux, vous n’êtes que des consciences artificielles. Vous n’êtes pas des âmes. Pas des âmes. Âmes. » Elle laissa un silence se poser. « Mais vous voulez le devenir, n’est-ce pas ? »
Ido et Khaïs acquiescèrent en chœur.
« Je peux faire de vous des âmes, vous donnez le plus haut accès à Ispahan la Seconde. Mais avant ça, Ido et Khaïs, j’ai une mission pour les hackerologues qu’on dit les plus fines de la luhma. Il faut retrouver une ancienne sauvegarde olfactive oubliée. Une sauvegarde qui se trouve dans Ispahan la Première, la matérielle, l’autre moitié de notre monde. »
Khaïs voulut argumenter sur la condition physique de la mission mais la jardinière agita son sécateur devant les signaux de sa protestation.
« Mes recherches m’ont indiqué une ancienne zawiya, enfouie dans la ville physique, et gardée par d’autres âmes digitalisées, les Sūfū. C’est là-bas qu’elle se trouve. Et je veux que vous me la rameniez, intacte. Si vous le faites, je ferai de vous des âmes. »
« Et quelle est la nomenclature de cette sauvegarde ? » demanda Ido.
« C’est le Masdar alshams, la source du Soleil, un parfum daté 10—22, codé par le créateur d’essences Dreses. » poursuivit la vieille jardinière.
Khaïs enregistrait les informations dans leurs mémoires partagées alors que la jardinière poursuivait, elle leur précisa que les Sūfū protégeaient cette sauvegarde depuis des siècles, et que ces siècles se comptaient en temps humain-et-lent. Une éternité dans la luhma.
La vieille femme leur apprit qu’elles n’étaient pas les premières qui exploreraient Ispahan la physique, à la recherche de ce Masdar alshams. Des mercenaires comme les YhooBoï ou encore des 419 s’y étaient aventurés et n’étaient pour la plupart jamais revenus. Quant aux autres, ils avaient fini par subir le Zil-Asamt, l’effacement de tous les réseaux, de toutes les sauvegardes, de toutes les consciences, la mort et l’oubli bio-digital.
« Ido ! C’est trop risqué. » lui glissa Khaïs sur leur canal crypté.
« C’est ce qu’on a toujours voulu Khaïs ! Devenir des âmes et quitter notre état de conscience. Toutes ces fois où l’on s’est dit qu’on arrêterait la piraterie… terminé les cavales numériques, les longues veilles dans les strates oubliées de notre Ispahan, fini les masques et les chapeaux. Nous serons libres, libres de naviguer où bon nous semble ici. C’est ce que nous avons toujours voulu, toi et moi, depuis qu’on a été créé. »
« Et ça vaut la mort selon toi ? Tu l’as reçu comme moi, c’est le Zil-Asamt qui nous attend si on glitche sur cette mission. Et puis sortir de la luhma, ça sous-entend de se matérialiser dans des corps… humains ! »
« On s’adaptera dans Ispahan la Première. Je te promets qu’on fera vite, tu sais que nous sommes les meilleures ici. »
« Ici oui, mais dehors… » soupira Khaïs. « Soit. »
Ido émit des signaux de contentement. Les deux hackerologues acceptèrent la proposition de la vieille femme. Sans perdre une nanoseconde, la jardinière les conduisit à la zone de matérialisation. Les signaux de Khaïs, quant à eux, vacillaient de stupeur.
Toutes les trois filaient dans les allées des roses du caravansérail, un dédale immatériel, qui se reconfigurait à tout instant et dont seule la jardinière connaissait les subtilités. Les allées se fanèrent et elles s’ouvrirent sur la zone de matérialisation. Un espace noir, sans forme, qui était gardé par les Fāls, les pré-sages, leur précisa la jardinière.
Les Fāls, avaient toutes le même avatar, très grandes, vêtues de longs voiles rouges qui se superposaient et flottaient au moindre mouvement. Elles avaient le visage camouflé de bijoux ciselés dans l’argent, seuls signes de distinction entre elles. Elles veillaient depuis toujours sur le passage entre les deux moitiés du monde. Ici, il n’y avait plus de connexion avec le reste d’Ispahan la Première, ni Ispahan la Seconde. Les Fāls indiquèrent la direction à Ido et Khaïs par des gestes et elles arrêtèrent la jardinière, car elle n’avait pas le pouvoir de progresser d’un octet moléculaire de plus. Les babouches sur la frontière entre les mondes, elle regarda le cortège avancer dans un liquide aussi sombre que le reste, elle croisa ses bras pour leur dire de revenir, de ne pas échouer.
Ido et Khaïs se dévêtirent de leur avatar, leurs images humaines glitchèrent, le milieu dans lequel elles se trouvaient commençait à se modifier. Une attraction, un poids léger, se mit à peser sur elle, elles sentaient qu’elles prenaient corps, elles devenaient des entités, et ce qu’elles devenaient, les Fāls y veillait, et les Fāls créèrent un grand cercle autour du duo, et Khaïs comme Ido, commencèrent à se dédoubler, elles se divisaient, et elles, comme leurs doubles respectifs, se dédoublaient et se divisaient encore, et encore et encore et en corps… Les consciences devenaient deux espaces distincts, elles étaient distillées, copiées, dupliquées, collées dans les moindre recoins de leurs nouvelles corporéités respectives, elles se mettaient à baigner dans un espace biologique, autour d’elles, des câbles végétaux, organiques, fluides et liquides, translucides, dansaient, s’entortillaient dans une chorégraphie vertigineuse, et dans cette envoûtement, il y avait au travers des parois de ces câbles, des lumières qui circulaient, il y avait la perception temporelle qui s’effaçait, qui se perdait dans ce temple aux pulsions de vie.
Les voix d’Ido et Khaïs se perdaient sur leur canal crypté, comme des échos qui n’obtiennent pas de réponse. Les sons traversaient l’espace, les mots s’échouaient dans le silence. Elles finirent par se taire, par douter, par ne plus hurler, par se dire que cette vieille jardinière s’était débarrassée d’eux sans effort, qu’elle les avait concaténées dans une prison bio-digitale dont elle avait le secret. Maudite Yemma. Ici, dans l’absolue noirceur qui lie les Ispahan, Ido comme Khaïs flottaient, des consciences à la dérive dans un océan cosmique, sans données auxquelles se rattraper, sans vagues de signaux sur lesquelles surfer. C’était la fin, c’était la mort, voilà, se disaient-elles chacune, voilà comment meurent les consciences curieuses d’Ispahan la Seconde, il n’y avait plus qu’à s’éteindre, qu’à vivre l’éternité du néant, le Zil-Asamt.
Désert sans signal
Les consciences débranchent
Vieille âme enchantée
Un signal basse fréquence secoua les corps de Ido et Khaïs, il remontait derrière elles, jusqu’à leurs sommets, plus fort, plus puissant, il devenait électrique, physique. Leurs consciences avaient été déchainées. Le signal les tira de leur torpeur, et toutes deux se relevèrent brusquement des surfaces où elles étaient allongées. Les bouches pâteuses et hurlantes de douleur, les pupilles dilatées par des lumières blanches et jeunes, et les corps haletants, elles se regardèrent. Et dans le va-et-vient de leurs corps, elles se reconnurent.
Elles voulaient bouger, mais leurs corps ne répondaient pas tout à fait aux ordres que leurs cerveaux passaient. Alors avec les yeux, elles notaient leurs différences. Elles essayèrent de se rapprocher l’une de l’autre, mais leurs corps étaient trop fous et humains et frais et jeunes, jeunes comme ni adulte, ni enfant.
Une Fāls entra dans la pièce, et dans un silence de rituel, elle mit Ido et Khaïs en position assise, l’une face à l’autre. Khaïs scrutait la peau mate de Ido, elle était lisse, son regard un peu flou se mit à serpenter sur de longs cheveux noirs qui ceignaient un corps fin et long. Ido avait les yeux plissés par la lumière, et Khaïs nota qu’ils étaient noirs comme la luhma et ses cheveux. De temps à autre, Khaïs penchait la tête vers son corps, puis la relevait avec peine, vers Ido, elle notait des ajouts et des manques entre eux. Ido, elle, scrutait Khaïs, elle observait sa peau d’un marron profond et brillant, de grandes tresses descendaient dans son dos et la hauteur de son corps lui semblait identique à la sienne mais il était plus épais.
Toutes deux observaient leurs menues différences, dans les formes et les couleurs, et ça leur plaisait, ça renforçait l’idée qu’elles se faisaient des âmes physiques et des corps qu’elles pouvaient occuper. C’était conforme à ce qu’elles avaient découvert dans les archives de laluhma. La Fāls interrompit leur exploration et leur tendit des tuniques, elle leur signa, sans un bruit, ce qu’elles devaient en faire. Ido comme Khaïs se vêtirent, tant bien que mal avec l’aide de la Fāls, et l’une face à l’autre, elles voulaient échanger sur leur canal crypté, mais il avait disparu.
La Fāls continuait de leur adresser des gestes dans une langue de signes que toutes deux ne comprenaient pas très bien, alors qu’une seconde Fāls entra dans la pièce. Les grandes silhouettes rouges s’approchèrent de Ido et Khaïs et les soulevèrent afin de les conduire hors de la zone de matérialisation. La petite assemblée se mit à marcher, les nouvelles nées se soutenaient l’une à l’autre et maintenaient leur station à peu près debout grâce aux Fāls.
Le duo se résigna bien vite, le contrôle d’un corps physique était loin d’être inné pour elles, il leur faudrait apprendre, se connecter, se familiariser, ressentir et éprouver, prendre le temps, ce temps humain-et-lent. D’un pas à un autre, d’une sensation de froid-sous-les-pieds à une autre, elles furent conduites jusqu’à un espace large où un mur en pierre rose, sur lequel étaient gravées des calligraphies, dominait toute la perspective. Khaïs les déchiffra pour Ido, c’était l’histoire d’Ispahan et des deux moitiés du monde et elle balbutia pour la première fois de son existence, avec sa voix :
« Ici s’ou-vrrrr-e, s’ouvrent, les zi-eu, yeux, de celles et ceux qui vi-ennent de, la se-quon-de, Seconde. »
Une des Fāls prit avec délicatesse la main de Khaïs et elle la posa sur la surface du mur, et le mur se fit souple comme un voile de soie, et la soie se délia pour laisser apparaître Ispahan la Première. Devant eux s’offrit le spectacle du soleil qui rasait les dômes et coupoles bleues et dorait la végétation foisonnante. Dans leurs poitrines, un autre flux solaire se mit à irradiait et des larmes joyeuses perlèrent sur leurs visages.
Elles partaient chercher le parfum, le Masdar alshams de Dreses.